Blanche Berthelier
La Nuit de la Matière
25 octobre - 23 novembre 2019
vernissage jeudi 24 octobre
Dans cette nuit peuplée
Au fond du noir des massifs soyeux comme des chevelures et puissants comme des vagues, s’ouvrent des cratères caressés par des rayons de lune. Des présences palpitantes à la chair de charbon peuplent les failles et les plaines fragiles où reposent des trésors. C’est ici que vivent des figures de chimères, en becs et en carapaces, éclairés par les rais d’un jour naissant. Dans le monde en noir et blanc de Blanche Berthelier, le geste caresse les plis, creuse les vallées et tend les reliefs d’une tectonique de l’intime. Eloge de la main, ce geste tisse en patience des surfaces douces, et à l’aide de petits signes pressés ou de longs traits filés, pose le point juste ou la tache d’un accent. C’est ainsi que l’artiste, au milieu de forces contraires, fait surgir les hôtes mutants des ténèbres où elle nous plonge. Un bestiaire aux silhouettes incertaines dont le tracé nerveux et élastique lie les formes et les matières nées de la nuit, avec la souplesse et la sureté d’un funambule.
Loin d’une vision d’école ou d’une approche par concept, le travail de Blanche Berthelier ne vient pas donner forme finale à un monde qui aurait été préalablement et globalement conçu. Dans un processus lié au corps et aux valeurs tactiles, le dessin emprunte un chemin qui se renouvelle, serpente dans des tracés qui insistent, évite les impasses de l’enlisement dans les plis du savoir-faire, ose des prises d’audaces et espère l’accident qui viendra en relancer l’énergie. Fils tendus, bifurcations, insurrection des reliefs, trames tissées, textures défaites. Métamorphoses. La première esquisse est résolue et fragile. Elle est ouverte à ce qui la met en mouvement mais qu’elle ignore encore. La forme qui nait de la main n’est pas à la discrétion absolue de l’artiste qui doit rester dans l’accueil de ce qui s’ouvre. Dans la résistance qu’im- pose la matière, il faut saisir le ton d’un clair et la lueur dans l’obscur, la langueur ou la tension d’une ondulation, fixer le point ou imposer le tranchant de l’outil dans une élégance d’escrime. Jouer des différences et des répétitions. L’aventure créatrice se situe là, exactement, au milieu de cet espace instable de traits, de volumes dressés, de personnages de songes, de formes organiques et abstraites, dans ce monde au noir d’encre et menaçant ruine. Au point où le dessin lui-même semble tenté par la fuite. C’est dans ce désordre que l’enchainement de l’oeuvre se découvre dans sa propre histoire, se déployant du croquis d’intention à l’ébauche finalisée avant de trouver sa vérité de pierre dans une exécution parfaite, toujours menacée par les forces d’une collision et d’une déroute.
La main délicate peut alors dompter ces puissances rebelles en posant au fond des creux et des voutes un bouquet de fleurs noires ou la douceur d’un œuf. Tout au milieu de cette nuit, Blanche Berthelier fait poindre la promesse d’une aube sur un nouveau monde.
Christian Sozzi I Galerie B+