Claude Yvroud
Cols Frontières Passages, Instructions terrestres
06 décembre - 04 janvier 2020
vernissage jeudi 05 décembre
En deçà. Au-delà
Nous avons tous un col près de la tête.
Amateurs de l’art, combien de fois avez-vous franchi les Alpes avec les éléphants d’Hannibal dans une tempête de neige, en songeant à la grande toile de William Turner ? Avez-vous rêvé, un instant seulement, d’être Napoléon premier consul, au col du Grand-Saint-Bernard, peint par David un peu plus tôt ? Ou encore, héros de fiction romantique à la recherche de ses repères, comment la traversée d’un passage dans les Alpes a-t-elle été pour vous une épreuve difficile et nécessaire comme ce rite de passage décrit par les anthropologues racontant que, dans les sociétés primitives, les voyageurs pratiquaient là des gestes magico-religieux comme l’offrande ou le recueillement ? Sortir d’un monde antérieur pour entrer dans une vie nouvelle par une fuite, c’est toute l’affaire qui nous occupe. La vie passant. En atteignant le col d’un pas lourd et trébuchant sur l’éboulis, entrez ici dans un autre monde avec le cortège des légions romaines, des contrebandiers et des pèlerins, des hommes de l’âge de fer ou des armées franques, à Roncevaux sur l’arrière garde de Charlemagne, en chaise à porteur avec Montaigne ou à dos de mulet des résistants croisant les migrants d’aujourd’hui ou leurs chasseurs, au col de Montgenèvre.
Claude Yvroud est guide. Glissé dans les topographies d’un espace multiple, de ponts tendus sur des vides, de passages étroits, de défilés et d’arrêtes, il progresse dans un paysage vécu, fait halte dans la géographie subjective du monde des limites puis, repart d’un pied obsédé à l’assaut de perspectives toutes différentes et répétées. De la lumière à l’ombre, de nouvelles échappées s’ouvrent puis s’abandonnent avant de découvrir une silhouette sur l’horizon noyé dans sa perspective atmosphérique. Vous êtes venus pour savoir, n’est-ce pas ? C’est même la seule raison pour laquelle vous êtes là. Alors, n’approchez pas des crevasses où vous perdre. Gardez-vous des chutes qui menacent sur les bords sensibles de vos questions sans réponse. La main dessine des abimes et des flèches de granit, suggère des transparences et des reflets dans des monuments de pierre. L’augmentation de la dénivelé fait le souffle court. Si vous le pouvez, posez-vous à l’auberge ou à l’hospice et faites le point sur ce qui vous échappe dans le relief de plus en plus accidenté de vos désirs. Redoutez les descentes qui grisent.
L’artiste superpose de nouveaux espaces à vos espaces, fixe le mouvement dans des séries, assure les pas sur les névés. Sous la parole de l’écrivain, le dessin d’encre et la céramique posent des trajectoires dans un inventaire sensible des éperons et des frontières, des pics et des caps. Des lacets où l’on s’égare. Pose des repères et des mirages qui se dérobent. Des béances, des cirques et des points de jonction en ombre ou en lumière. Les instants troubles d’un déjà vu. C’est ici en montagne, pas en plaine, que l’obstacle nourrit le plaisir de la mise en abyme dans la succession des franchissements et des moments suspendus qui rendent tellement fragiles et dont on sort tellement forts. Allez, reprenez le fil du sentier.
Christian Sozzi I Galerie B+