

Echo
14 avril - 22 mai 2022
vernissage jeudi 14 avril
Jérémy Bajulaz
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LEÇON DES CHOSES
« Je peins mes natures mortes, ces natures mortes, pour mon cocher qui n'en veut pas, je les peins pour que les enfants sur les genoux de leurs grands-pères les regardent en mangeant leur soupe et en babillant. Je ne les peins pas pour l'orgueil de l'empereur d'Allemagne et la vanité des marchands de pétrole de Chicago. » Paul Cézanne. Entretien Cézanne/ Joachim Gasquet 1921.
Des natures vives dans l’huile et l’encre : sous le feu de la cuisson, la pâte blanchie gonflant la bosse des madeleines de l’enfance, le flux sous les pulpes, l’orange qui se dévêt sans hâte devant nous, les citrons instables sur leurs carreaux de faïence, l’odeur du melon mur, les abricots duvet. Quelques fleurs fanées en vanité. La présence du pot de grès espagnol régnant sur son lieu, les reflets du verre de la framboisine, le métal brulant d’une cafetière italienne, la légèreté d’une étoffe au pied du lit. Une noix perdue.
Les glacis doux, l’épaisseur des ombres de couleur et l’éclats des rehauts de lumière posée sur les matières, dessinent les rythmes, confondent les territoires du fond et des contours. Jérémy Bajulaz donne une sensibilité à des objets du commun qui parlent haut avec la vigueur de tous leurs traits, même s’il s’agit de formes suggé- rées. L’artiste déplie un poème de l’ordinaire pour une douceur de vivre. L’exubérance des riens dans la discrétion du subtil. Dans la peinture de Jérémy Bajulaz, il y a le détail qui a partie liée avec l’ensemble de la composition et la renforce. Il y a aussi le détail singulier et cristallisateur de la jouissance esthétique, le punc- tum qui fait signe à nous seuls. Une écorce, la lumière qui frémit derrière un rideau, le motif naïf d’un carreau. Il faut éprouver la sensation du jus dans le cœur du fruit plus que le réalisme de son enveloppe, comme Stéphane Mallarmé nous dit que la poésie doit peindre « non la chose mais l’effet qu’elle produit ».
Il s’agit moins de dire les permanences du monde que de saisir des moments, des petits évènements ou des absences dont la peinture est la trace. L’indice de ce qui a été et revient sous la forme d’un désir infini et répété. La peinture de la nature morte, la mal nommée, est le mouvement de toutes les minutes ou les années qui ont construit la clarté d’une image pour l’artiste mais qui devient toujours une énigme pour celui qui la contemple. Quand la peinture se déploie autour d’une poterie ivre, d’un quartier d’orange tendue par la main d’une mère ou de l’insaisissable note jaune d’un citron, elle tire alors le fil tendu d’une mémoire et de ses pensées désordonnées comme un rêve peuplé de petits gouters, de ritournelles et de balançoires d’un temps heureux.
Pour voler un titre de Patrick Drevet, chaque peinture de Jérémy Bajulaz est comme une étude sur le désir de voir et une célébration du geste en dessin et en couleur. Franchir le seuil de ce monde, c’est recevoir les formes enfantées au long d’une exigence de vie, d’actes, d’interrogations qui construisent une vie d’homme et sa vie artistique d’aujourd’hui. Ce sont bien des mouvements qui lient le corps, la matière, le monde des sensations et celui des intimités. Le haut en velours, la guitare après la fête, le maillot de bain jouent le jeu du ici et du maintenant charnel et vrai avec un imaginaire qui puise au corps tous ses élans.
Ne peut-on jamais s’emparer des objets inanimés, pour qu’ils livrent enfin, dans leur vérité de peinture, l’attestation du monde dont on doute et qui fuit ? C’est pourquoi, dit le peintre, il faut répéter, reprendre, se désoler d’un déséquilibre ou du ton pas assez haut d’une orange. Enfin, poser son outil et se rassembler soi-même quand l’objet, installé là dans son évidence, s’élève enfin à la dignité des manques et des rêves dont nous sommes le siège.
Christian Sozzi I Galerie B+