Jean-Philippe Aubanel
Avec titre :
avant de peindre,
nous sommes peints
17 mai - 13 juin 2019
vernissage jeudi 16 mai
Les couleurs de la baleine blanche
Accueillir une exposition de Jean-Philippe Aubanel, c’est se laisser aller au bonheur gourmand d’une belle promesse de radicalité et de transgression, toute à la fois ingénue, feinte, fraiche et résolue. Jean-Philippe Aubanel n’est pas ce que Samuel Beckett appellerait un abstracteur de quintessence... Son travail d’expérimentateur se déploie dans les marges de l’abstraction et du réalisme sous les faux habits d’une posture mal léchée, tournée vers un art populaire et un immense plaisir du jeu. C’est un pisteur qui explore un pandémonium de forces obscures et de congrégations colorées en ouvrant des voies sinueuses dans une matière intense. Il y a dans son œuvre des masques, des divinités païennes, un bestiaire halluciné à la manière COBRA et les semblances humaines de l’autre qui nous trouble. Aubanel jardine ce qui pousse dans un avant du langage, au milieu du buisson de sensations confuses par lesquelles nous venons littéralement au monde. Ce qui se saisit avant l’intervention du mot quand l’objet ou la figure ouvre un ensemble de possibilités instables, quand tremble la main du peintre pour dire l’incertitude d’une naissance. C’est le moment rare où l’art devient, comme l’écrit Henry Maldiney, la perfection des formes inexactes. Le domicile de l’artiste est ce magasin d’images fait de toutes les impressions, du dedans et du dehors, que le sujet reçoit du monde comme un enfant. Une peinture de sensation première prise dans le langage, voilà le paradoxe d’une œuvre où le trait d’esprit ouvre des espaces de liberté et de jubilation. Un univers pictural d’une souriante étrangeté nous glisse dans un univers hypertexte de signes, de références et de notations qui composent une chorégraphie allègre conjurant la possibilité d’un drame. Une peinture parlée par un langage déjà là avec une jonglerie de mots et de lambeaux d’images qui entrent en carnaval sous les masques des figures de rêves. L’imaginaire ainsi mis en scène par Aubanel ressemble à une dérive des mots et des formes, tracée pour parcourir un univers poétique comme un terrain de jeu immense et inachevé à l’échelle de son œuvre. L’art cultive ici l’instabilité et la polysémie. Se joue de l’interprétation. Le coloriste étale les jus, griffe, superpose les fonds, marie la cire et les pigments, souligne et estompe. Il détourne et laisse divaguer. Pose un titre comme on pose une clé de voute. Enfin, par le détournement à la manière situationniste, il engage le spectateur dans des sens imprévus, un éclat de rire ou une soudaine gravité comme un ange qui passe. Entre mouvement et immobilité, le travail d’Aubanel combine les états de la matière et du monde, invite aux abandons, joue avec les limites du visible, tisse les dessous avec les dessus, combine les formes et les textures. C’est une peinture du temps comme un memento mori. C’est aussi une peinture du désir qui ne sait pas ce qu’il désire et qui échappe. Un désir de baleine blanche.
Christian Sozzi I Galerie B+