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Jean-Philippe Aubanel

Par la brèche des nuages, suite.

12 janvier - 11 février 2023

vernissage jeudi 12 janvier

Film réalisé par Renato Saleri avec le concours de l'artiste Jean-Philippe Aubanel durant son exposition à la galerie B+ (" Par la brèche des nuages, suite. ").

LE REVE DU BOMBYX

De temps en temps le soir, il émerge un visage

Qui soudain nous épie de l'ombre d'un miroir ;

J'imagine que l'art ressemble à ce miroir

Qui soudain nous révèle notre propre visage.

Jorge Luis Borges

Face à nous, une très longue pièce de soie imprimée est disposée pour être parcourue recto verso. Elle porte une rêverie noire et blanche de masques et de grimaces en ribambelle, devant notre propre visage pris dans le miroir que l’artiste a placé ainsi pour notre trouble.
C’est la farce des faces dans l’éclosion d’un songe peuplé par les trognes du carnaval de James Ensor ou les kermesses pathétiques de Karel Appel. Comme inachevées, des figures spectrales surgies de l’obscurité courent sur la soie farandole.

Dans sa fructueuse collaboration avec Benoit Coulpier, le talentueux imprimeur sur textile de la colline qui travaille, Aubanel prolonge et rend un bel hommage à la création des artistes sur soie comme Raoul Dufy ou Sonia Delaunay et à celui des trop anonymes dessinateurs de l’école des fleurs qui ont fait la renommée de la Fabrique lyonnaise depuis le XVIIIe siècle. C’est à Lyon, vers 1850, que le perfectionnement de la technique dite du « cadre plat » permettra l’essor économique et artistique de la grande tradition de l’impression sur soie dont l’œuvre exposée aujourd’hui à la galerie B+ est un fruit.

Comme le rêve, la peinture d’Aubanel est un rébus, c’est-à-dire quelque chose de l’ordre de la langue d’une phrase poétique avec ses sonorités, ses rythmes, ses jeux mais aussi ses répétitions insistantes dans une peinture-texte où se cachent les sources d’un continent inconnu. C’est « l’ombilic du rêve » nous dit Freud, à propos de ce nœud de puissances de l’esprit qui viennent se tresser là, ignorées de l’artiste lui-même, qui va, de création en création, les faire éclore. Il y a dans l’œuvre d’Aubanel des retours heureux pris dans d’infinies variations des signes, des pâtes colorées et des installations dans l’espace. Une exploration obstinée des possibilités des supports et des pigments. Minéraux, toiles écrues, papiers couverts de cire d’abeille ou soulevés par l’encre, fibres, objets trouvés et subvertis, verres et peaux, toiles d’araignée... Ici la soie.

Il faut imaginer un Palais des glaces de l’enfance et ses reflets trompeurs, organisés pour égarer, déformer, multiplier et redire mieux. Il y a là, au coin de ces miroirs, des beautés qui rassurent et des vanités qui affligent. Un petit cheval qui nous ressemble. La foule d’une humanité déguisée pour une tragédie grecque ou une commedia. Dans les visages où l’âme creuse ses trous, la réapparition vaut signature, au centre d’une création toujours vivante par la lutte des mains dans les plis de la matière. Dans sa répétition primitive, grave ou cocasse, cette grammaire fait signe comme une connaissance proche. Dans l’éternel retour du défilement d’un journal lumineux à l’ancienne, nous guettons les présences qui nous observent et font de nous images à notre tour. Qui est peint dans ces gueules hallucinées ? Qui peint la trace que nous suivrons une fois encore dans un mois, dans un an ?

Ne dissimulons pas le plaisir de croiser encore ces personnages de scène étrangement familiers, pour savourer avec eux la jouissance de leur mélancolie, comme celle du Bombyx, papillon de soie empêché dans son vol par l’atrophie de ses ailes de géant et qui s’agite en songeant aux espaces qu’il ne connaitra pas et aux couleurs perdues.

                                                                                                                                  Christian Sozzi I Galerie B+

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