Vincent Brunet
Voyage sous l'épiderme
histoires d'encres
05 décembre - 09 janvier 2021
vernissage samedi 05 décembre
Les songes de la matrice
« On ne rêve pas profondément avec des objets.
Pour rêver profondément, il faut rêver avec des matières »
Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, 1942
Si, comme moi, vous ignorez à peu près tout de l’art du graveur, avouez au moins que vous êtes d’abord enchanté par ses mots. Plongez dans la viscosité du vernis mou, puis, gourmands, méprenez-vous sur la gravure au sucre, interrogez la taille-douce la bien nommée, fermez les yeux puis songez à la caresse de l’encrage à la poupée, au glissement de la tarlatane et au son d’une boite à grains. N’avez-vous jamais associé les trous du berceau et les langes de l’impression ? ou encore rêvé de vous glisser dans de l’aquatinte colophane ?
Pour le profane, les mots de la gravure n’ont pas seulement la poésie de leur étrangeté. Ils disent aussi beaucoup de l’ambivalence de cet art, entre fermeté et douceur, humilité et obstination quand l’artiste parcourt les formes légères du dessin à l’aide de son burin tranchant et incisif ou, s’il opère à l’eau-forte, quand il distribue sur la plaque tendre les morsures de l’acide et pose des douceurs de gris sous les caresses de l’essuyage. Le cuivre résiste sous les poussées du graveur qui crée un monde sur une matrice polie et lumineuse comme un miroir. L’artiste graveur est engagé et attentif. Il faut sentir la pression de ses mains délicates dans les reliefs conquis pied à pied sur une matière forte et si vulnérable.
Ces actes ne s’effacent pas derrière l’estampe. Ils ne sont pas ici en marge de l’émotion esthétique, ils définissent bel et bien le sens même de l’œuvre. Produire et agir par le corps installé comme une montagne, nous dit Vincent Brunet, pour définir la juste position et la bonne distance par rapport à l’ouvrage, dans un geste à la fois sensible et cérébral, pour assurer à l’outil l’angle parfait, prenant sa justesse dans un centre d’énergie intérieur comme un nombril du monde. Le geste procède de la méditation, nous dit-il. Il doit assurer concentration et équilibre pour la bonne trajectoire du burin fabriqué pour la main. Quand il se rapproche du geste du violon, perfectionné comme lui, jour après jour dans des gammes, tout en risque mais sur de lui-même, il est sans peur. Puis vient le moment ou l’espéré devient visible. Une épiphanie de papier. De la première esquisse au moment si particulier de la révélation quand l’artiste confie sa matrice à la presse, la naissance de l’estampe au milieu des liquides récompense alors l’enchainement fragile de ses mille savoirs et autant d’étapes décisives.
Vincent Brunet architecture le monde dans des cosmogonies. Astéroïdes et apocalypses. Baroque, il plie et déplie, répète en longues séquences, combine les entrelacs, glisse des réminiscences, superpose les motifs et les trames dans des variations fines et des combinaisons infinies où se glissent parfois d’étranges personnages. Cultivé des grandes oeuvres de l’estampe, il nous raconte aussi l’art du vitrail et la transparence des teintes dans la circulation de la lumière. Il réinvente celui des perspectives où des plans se répondent et se mesurent les uns aux autres dans des mouvements profonds. Tailleur de pierre, charpentier et dentellier. D’une série à l’autre, les formes s’incorporent, se désunissent et s’assemblent encore dans des enluminures abstraites ou surréelles posées sur des papiers d’orfèvre.
Christian Sozzi - Galerie B+ - Novembre 2020