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Gilbert Houbre

Marc Leonard

Serge Thilbault

« La guerre des trois
n’aura pas lieu »

08 juin - 29 juin 2023

TRIO Texte

Apparaitre

« Il faut savoir abandonner le tableau que l’on voulait faire au profit de celui qui se fait. »

Raoul Dufy, cité par Claude Simon

Il y a de tout. Au milieu d’un amas de ruines, des personnages abandonnés à leur douleur, au milieu d’un décor de feu. Plus loin, un cycliste égaré, un trio salace mi-ange mi-bête, à la silhouette raturée sous une écriture illisible. La présence d’un couteau auprès d’un homme renversé ou d’un animal à l’origine obscure. Le visage défait par le pastel, d’un homme ou d’un enfant couvert d’un drôle de chapeau. Une maison rose. D’autres choses encore. Si vous croyez voir un violoncelliste incongru sans pantalon ou même un raton laveur, personne ne vous le reprochera. Il faut suivre le philosophe Didi-Huberman quand il nous invite à renoncer à la recherche d’un sens explicite que nous fournirait des signes, pour lui préférer les symptômes quand ils se révèlent dans des incongruités, des tensions et des déséquilibres.

Houbre, Léonard et Thibault travaillent des papiers tendus autour des interrogations qu’ils partagent, au-delà des différences de leurs personnalités picturales et de leur medium. Sous l’encre, la gouache et l’acrylique, il est question, chez l’un chez l’autre, de seuils, de bifurcations et d’interfaces si l’on parle une langue scientifique, d’interrogations sur les désirs et l’infini si l’on est philosophe ou des limites de l’art et du langage si les enjeux de l’esthétique nous passionnent. Dans tous les cas, il est question des énigmes de la peinture pour ces trois artistes installant, dans leur accès singulier au monde, quelque chose à la place de ce qui ne saurait se voir.

Chez Houbre, dans les brasiers de la guerre, les chauds instables dominent parmi des noirs profonds qui avalent. Leonard griffe des fragments de récits gravés sur des surfaces de couleur qui architecturent des plans de certitudes avant de se défaire, quand Thibault, sous des outremers clairs et des rouges orangés, s’obsède du réel des choses jusqu’à trouver leur abstraction jetée dans des traits. Chez tous, il y a le jeu des tensions dans les manques, les proximités et les contagions de leur grammaire de peintre. Quand la teinte qui hésite dans le vent comme l’étincelle cherche sa poudrière, quand la figure suspendue trouve sa plastique, c’est bien la musicalité qui s’installe dans un rythme des formes qui feint l’effondrement sous un travail de précision.

Chez les trois peintres, la peinture introduit l’étrangeté de ce qui devait rester secret et qui en est sorti, selon la formule du père de la psychanalyse. Thibault tient en équilibre avec brio les assemblages d’un regard halluciné par le trop de matérialité du monde. Leonard visite et dispose les images extrêmes d’une anamnèse qui s’évanouie sitôt peinte. Dans des gouaches de fusion, Houbre mêle l’effroi au plaisir esthé- tique un peu sauvage d’un citron acide ou d’un bleu ciel. Il est question chez tous de dimensions contra- dictoires comme des refoulés qui cheminent dans un terrier de parcours intimes et d’errance, à la recherche d’une vérité qui fasse à la fois signe et émotion. Les papiers exposés témoignent, dans leur unité, de l’effort d’un dévoilement de la pépite d’or que Delacroix voyait comme une « puissance de je ne sais quoi ».

Il n’y a presque rien, trois fois rien qui porte le charme de l‘œuvre en train de se faire avec des allures d’es- quisses ou d’études qui contiendraient beaucoup d’éléments auxquels les artistes pourraient renoncer jusqu’au dernier moment. Comme si la peinture ou le dessin devait s’excuser des apparences, ne faut-il voir qu’un art du précaire et de l’inachèvement dans les silhouettes errantes et les matériaux instables de Houbre, les incertitudes dessinées en forme d’hypothèses de Thibault en quête d’un en-soi du monde ou la menace de l’effacement des traces tellement fragiles des rébus exquis de Leonard ?

                                                                                                                                   Christian Sozzi. Avril 2023

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