top of page
IMG_7116.jpeg

Aude Descombes

Georges & Dragon

27 avril - 25 mai 2023

Aude Haut
Texte Aude

CHAOSMOS

« Après que j’en ai eu fini avec le bonhomme aux épluchures, je suis allé pisser et pendant cette opération mon regard a rencontré des coquilles d’huîtres jetées là et de suite l’idée m’est venue d’utiliser leur empreinte et aussitôt est né un autre bonhomme [...] »

Gaston CHAISSAC, in Hippobosque au bocage

Quel mot pour désigner ces amas de fragments de vie en suspens, ces explosions de points lumineux dans des bruissements d’ailes au milieu des toiles peintes et des surprises dissimulant des objets insolites, sous l’œil rigolard de sceptres hirsutes : foisonnement, excès, surabondance, profusion ? Ou pourquoi pas pléthore, ce vieux mot de la médecine, avec sa préciosité un peu désuète et qui pourrait convenir à ce trop-plein d’humeurs et de sonorités ? Les juxtapositions de formes improbables et la diversité des matières rassem- blées dessinent un territoire qui brouille la hiérarchie des échelles et les frontières les mieux établies, sous des drapés et des poignées de confettis. Aude Descombes libère des devenirs oiseaux échappant aux grilles dans des ciels liquides. Dans les creux des nuages, elle fait trottiner des chenilles d’étoiles sous l’œil espiègle de petites licornes à peine sorties du nid.

L’enchantement va et vient parmi ces êtres crées ou volés à l’univers numérique, dans des multiplicités d’angles et de raccourcis qui disent plus les grandes profondeurs du monde que le miroir de ses surfaces.
L’aérographe, le pinceau, les matières collées sont les outils d’une usine de désir. Cette usine sans fin produit et défait des connexions dans des agencements mobiles qui permettent, sous des intensités variables, de nourrir des courants volatiles. Ces flux sans origines, courent, s’interrompent, avant de s’échapper de la toile dans un souffle. Tout prend sa place dans ces architectures Mikado, l’onctueux des huiles, la peau douce des temperas, la fluorescence qui électrise, la coulure qui déroute.

Ces collectes de bouts d’histoires comme on dirait des bouts de ficelle, d’images échappées des contes ou glanées çà et là ont la construction rigoureuse des nids de brindilles et d’étoffes réunies au hasard des trouvailles. En apesanteur, les assemblages solides comme des poèmes ont une fragilité qu’un courant d’air menace. Un alliage robuste de vulnérabilité et d’humour, de vérité et de travestissement.

L’œuvre est toujours fluide. Les figures d’une chorale se renvoient l’une à l’autre dans la ribambelle des signifiants insensés d’un songe. Elles font système à la fois aléatoire et orga- nisé dans des accélérations, des dissonances, des empâtements ou des éclaboussures de couleurs vives. Cette peinture est une turbulence. Les mots et les choses ne cessent de se lier et de s’entrechoquer. Un chaosmos, selon l’oxymore du poète, pour parler du chaos qu’il faut rendre habitable et ordonné sans en bloquer l’expansion vitale.

Il y a dans l’œuvre de Aude Descombes quelque chose qui vacille entre l’envahissement d’un trop plein et le recouvrement d’un drôle de vide sous une mascarade de signes qui nous fait espérer un mystérieux trésor caché dans les plis de ces opulences. Une peinture nommée désir.

Ces fuites éperdues, ces fausses pistes et ces travestissements qui égarent le regard, disent-ils autre chose que le théâtre d’un secret qu’un maquillage recouvre dans des frous -frous vaporeux, des vols de colibris et les fracas d’une lutte avec des dragons de papier.

                                                                                                                                   Christian Sozzi. Avril 2023

bottom of page